De la poétique

 Homère, le prince des poètes. Buste par Walter Pater. cc0 source  wikimedia

Homère, le prince des poètes. Buste par Walter Pater. cc0 source : wikimedia

Travaillant depuis plusieurs mois avec les personnes de Framabook à la publication de mes textes sous licence libre, j'ai décidé de refaire un site plus complet qui accueillera également les romans.
Sa mise en ligne correspond au versement de tous mes textes de l'univers Hexagora sous une licence libre Creative Commons BY-SA.

Pour ceux qui ne connaissent que peu ou mal le monde du droit d'auteur, cela signifie que je renonce volontairement à définir ce que je produis comme ma propriété exclusive, et que j'accorde de façon officielle et légale, a priori, à chacun le droit de faire ce qu'il veut de mes textes, pour autant qu'il accorde cette même liberté à ce qu'il engendrera à son tour. Oui, vous pouvez copier, partager, adapter, réécrire mes textes, autant que vous le voulez, ils sont à vous, à tous. Je m'oppose en cela à ce qu'on définit traditionnellement comme “droit d'auteur” et qui se révèle souvent n'exister que le temps de le confier en exclusivité à un éditeur.

Il n'est pas évident de prendre la décision de lâcher prise sur ses œuvres, d'autant qu'il n'existe encore aucun modèle économique bien établi pour la production littéraire sous licence libre. Néanmoins en ce qui me concerne, cela a fini par s'imposer à la fois pour des raisons culturelles mais aussi pour des motifs très pragmatiques.

Tout d'abord, j'ai appris à découvrir le monde du libre, des communs plus largement, depuis que je travaille au quotidien sur un système GNU/Linux. Les réflexions initiées par des gens comme Richard Stallman et Eben Moglen, bien qu'ils se soient souvent défendus de s'intéresser à la culture en général (surtout R. Stallman), ont fini par me faire percevoir l'importance d'une production culturelle qui ne soit pas sous contrôle.
Autant que l'informatique qui façonne notre société, l'univers symbolique déployé par les œuvres de l'esprit ne peuvent être réduites à de simples denrées quantifiables, que l'on gère en bon père de famille, comme un bas de laine. Le simple fait d'employer le terme de symbole révèle l'importance de l'échange dans le processus, qui ne peut et ne doit surtout pas être conçu en terme de producteur exclusif et de consommateur.

Mimi & Eunice par Nina Paley - ♡ Copying is an act of love. Please copy.

Mimi & Eunice, par Nina Paley ♡Copyheart - Copying is an act of love. Please copy.

Lawrence Lessig parle de culture read/write et pas read only ; Bernard Stiegler travaille depuis longtemps ces questions autour de la transindividuation, avec le concept de rétention tertiaire qu'il a forgé au fil des ans. Leurs travaux ont alimenté mes recherches, et ont fait pencher une inclination que j'avais depuis longtemps en moi. D'avoir étudié l'histoire, l'art et l'archéologie m'a tout particulièrement sensibilisé à l'importance du fait culturel dans la société et à l'importance des flux et reflux entre le groupe et l'individu, tant dans les influences inconscientes que dans les apports volontaires et cohérents.
J'ai donc décidé de mettre mes pratiques en accord avec mes réflexions et, après avoir récupéré les droits sur mes textes, de placer le tout sous la licence Creative Commons BY-SA. Là encore, retenir cette option constitue le fruit d'une longue réflexion personnelle. Certains privilégient la non violence légale, comme Nina Paley tandis que d'autres optent pour l'élévation dans le domaine public volontaire. L'adoption d'une licence intégrant la notion de copyleft a été motivée par mon souhait de rendre aussi peu soluble que possible mes écrits dans l'industrie culturelle consumériste. Non pas qu'elle soit impatiente de l'intégrer mais je suis toujours frappé par sa capacité à digérer, assimiler et tirer profit de tout, y compris des antagonismes qu'elle génère. J'ai envie de participer à autre chose, en évitant autant qu'il m'est possible de nourrir le léviathan auquel je tente d'échapper.

Pourquoi autant de rejet de ce système de ma part ? Peut-être est-ce en partie une réaction. J'ai tenté, depuis bientôt vingt ans de m'intégrer, sans y trouver ce que j'y espérais. Les producteurs de contenu culturel sont, pour paraphraser un ami écrivain lui aussi, comme les exploitants agricoles de la grande distribution. Nous sommes pieds et poings liés à un système qui nous exploite, bafoue sans cesse nos droits les plus élémentaires et ne tient aucun compte de notre situation désastreuse qui empire au fil des ans. Je ne parle même pas de la captation de nos soi-disant intérêts pour justifier exactement le contraire de tout ce à quoi j'ai envie de croire. Je ne jette pas la pierre à un individu ou une structure en particulier, c'est pour moi un cas d'école de bêtise et de malfaisance systémique.
J'ai donc eu envie de tenter une nouvelle aventure.

On me fait souvent remarquer que c'est un bien grand risque, qu'aucun modèle économique ne se dégage de ces nouvelles pratiques et que bien rares sont les élus qui arrivent à tirer leur épingle du jeu. Je partage entièrement cette analyse. Mais j'ajouterai que c'est exactement la même chose dans la proposition alternative de l'industrie culturelle du livre. Il existe peut-être un modèle économique, mais pas pour les écrivains. Il n'a d'ailleurs jamais été question d'en créer un. À voir dans le détail les principes régissant le droit d'auteur, on comprend bien vite que Beaumarchais était avant tout papetier et libraire avant que d'être écrivain.
Par ailleurs, je n'ai aucune sympathie pour un système dont je constate la morbidité chaque jour. Qui peut encore dire qu'il s'épanouit dans la chaîne du livre actuellement ? Entre les libraires qui se battent contre Amazon (en oubliant parfois de batailler contre l'office des grands diffuseurs), les bibliothèques sans moyens pour organiser des ateliers et des rencontres et les éditeurs en perpétuelle survie, incapables bien souvent de payer les droits qu'ils doivent à leurs auteurs…

Jiddu Krishnamurti disait qu'il n'était pas forcément bon signe d'être bien adapté à une société malade. Au final, bonne ou mauvaise nouvelle je ne saurais dire, mais il semblerait que ce ne soit pas mon cas. Je rejoins donc la longue cohorte des rêveurs, des artistes et des naïfs qui ont préféré la voie de l'inconnu, porteuse d'espérance, à la consternante observance d'un modèle qu'ils jugeaient effroyable.
Socrate, à travers Platon, avait un terme pour désigner ces hommes des questions limites : poète.
Autrement dit : celui qui fait.

poète \pɔ.ɛt\ masculin (équivalent féminin : poétesse)
Emprunté au latin poeta, lui-même emprunté au grec ancien ποιητής, poiêtes (« fabricant, artisan, poète ») dérivé de ποιέω, poiéô (« faire, composer »).
Source : wiktionnaire