Le plus doux des mestiers

L’enfançon âgé bien assez
Son père choisit de le placer.
On en fera riche musnier
De l’avoir emplir son grenier.
Panse rebondie comme tambour
Sans bien fort suer à son labour.
Je ne puis, père, élire mestier
Où meule bestourne sans pitié
Nul désir de finir grevé
Mon sang vermeil en le pavé.

Alors boucher fait bon avoir
D’un fort couteau peut se pourvoir.
Chaque journée droit de carnage
Les hauts morceaux en apanage.
Je ne puis, père, élire mestier
Où coutiaux toujours affutiés
Espèrent trancher doigts égarés.
Belle peur aurais de me navrer.

Laboureur fait riches moissons.
De s’engraisser a mille façon
En sien grenier froment rangé
Permet au soir fort goberger.
Je ne puis, père, élire mestier
Où boeufs puissants et bien cornés
Peuvent en tout moment m’esbigner
Finir gisant après une ruée.

Charpentier tranchant ses tenons
Construit chaque jour son renom.
Bâtissant hostel et toitures
Tire deniers de ses emboîtures.
Je ne puis, père, élire mestier
Où bien haut perché doit œuvrer
Grande crainte du vent tempêtueux
Car me laissant pauvre et boiteux.

Au moustier pourra faire profès
De la dîme tirer les bienfaits
Ventru chaud vêtu toute l’année
En prière pour mie se damner.
Je ne puis, père, élire mestier
Où mon pendu doit se garder
D’aller faire visite en buissons
Ne pouvant créer enfançon.

D’un tel fils oiseux et rétif
Du moindre labeur si craintif
Las, le père ne sut que faire
Fils à la tonsure te confère
En village tu seras curé
Le fils ne put rien opposer. ❧

Notes

J’ai une nouvelle fois composé ce texte en m’inspirant des devinettes anciennes, et prenant comme sujet la moquerie incessante des rares textes populaires connus à propos des prêtres, dont l’éventail de défauts est si large qu’il en devient truculent.

Références

Bruno Roy, Devinettes françaises du Moyen Âge (Cahiers d’Études Médiévales, 3), Montréal, Bellarmin, et Paris, Vrin, 1977.

Une version en ligne existe à http://www.sites.univ-rennes2.fr/celam/cetm/devinettes/devinettes.html [Consulté le 15 décembre 2014].